L’un des lieux les plus emblématiques de Bruxelles fête ses 175 ans
Qui entre dans ces galeries est d’emblée séduit par le charme de leur atmosphère, la qualité et l’ampleur de leur architecture. Telle une invitation à la flânerie, cette rue, qui n’en est pas une, ouverte à la lumière, mais protégée de la pluie par sa splendide verrière, tire son succès depuis 175 ans de sa formule révolutionnaire pour l’époque en réunissant culture et art de vivre autour de ses cafés et restaurants, boutiques en vogue, théâtres et cabarets, ainsi qu’aux étages ses appartements jusque-là quasi inexistants à Bruxelles. Certes ce passage couvert s’est adapté au fil du temps à l’évolution et aux tendances du moment, sans rien perdre toutefois de son faste et de son authenticité. Ainsi, le marché aux fleurs cède en 1851 sa place à ce qui deviendra le théâtre du Vaudeville dont le hall est remis ensuite au goût de l’Art Déco comme la célèbre Taverne du Passage. En 1939, c’est l’ouverture du Cinéma suivi en 1951 par le profond relooking du théâtre -également réalisé par l’architecte Paul Bonduelle- avec un décor de Stéphane Jasinski et un plafond nuageux magrittien. Si l’incontournable librairie Tropismes a remplacé la boîte de jazz Blue Note, si l’hôtel a suivi une cure de jouvence, certaines enseignes, véritables fleurons de notre artisanat telles la Maison Monsel avec ses parapluies et chapeaux, la Manufacture Belge de Dentelle ou l’unique Ganterie Italienne, sont présentes depuis le XIXe siècle.
Ce projet ambitieux et dans l’air du temps n’aurait sans doute pas vu le jour sans la clairvoyance et l’ingéniosité de son architecte, auteur du Conservatoire et de bien d’élégants hôtels de maître et châteaux. En s’inspirant de la Galerie d’Orléans au Palais Royal à Paris (Percier et Fontaine, 1829), Jean-Pierre Cluysenaar, qui n’a alors que 26 ans, imagine dès 1837 d’intégrer deux vastes galeries commerçantes au cœur d’un des quartiers les plus animés de Bruxelles, dans l’axe de l’étroite rue Saint-Hubert. Cette nouvelle voie de communication permet de relier le Théâtre de la Monnaie à la Grand-Place tout en contribuant à assainir les ruelles insalubres et vétustes de l’îlot médiéval par l’expropriation et la démolition d’une quarantaine de maisons que les autorités sont désireuses de voir disparaître. Déclarée d’utilité publique vu l’attrait de ce concept novateur pour notre jeune capitale en pleine expansion, cette opération immobilière, à attribuer également au banquier Jean-André De Mot, est rondement menée. En 1845, la ‘ Société anonyme des Galeries Saint-Hubert ’ est constituée par un actionnariat d’investisseurs privés qui bénéficie de garanties financières des pouvoirs publics. Après neuf années de négociations, le chantier peut enfin démarrer en mai 1846 pour s’achever treize mois plus tard ; un record !
Inaugurées le 20 juin 1847 en présence du roi Léopold Ier et de ses trois enfants, les galeries Saint-Hubert soulèvent l’admiration générale. 213 mètres de longueur, 8 mètres de largeur et 18 mètres de hauteur, aucun des passages couverts construits en Europe n’a atteint à ce jour une telle envergure. Rares également sont les immeubles bruxellois à accéder à une telle maîtrise technique du fer et du verre ; tout un symbole de progrès et de prospérité au lendemain de l’Indépendance de la Belgique, ce qui lui vaut les noms de Galerie du Roi, Galerie de la Reine et Passage du Prince en hommage à la famille royale. Mais son originalité réside aussi dans l’harmonie à la fois monumentale et sobre de son architecture inspirée des modèles classiques de la Renaissance italienne, dans le décor de ses façades qui s’allège et de leurs couleurs qui se dissolvent en gravissant les trois niveaux d’élévation jusqu’à la verrière ou encore dans son tracé dont l’alignement désaxé entre les deux galeries est géré par un péristyle à leur point de rencontre, rue des Bouchers, accentuant ainsi la perspective de l’ensemble.
Les galeries remportent un succès immédiat. Promenade privilégiée de la bourgeoisie en quête de luxe et de mondanité, elles deviennent très vite le rendez-vous de l’intelligentsia belge qui se retrouve au Cercle artistique et littéraire (ancêtre du cercle Gaulois) et le point de ralliement des écrivains français qui ont fui Paris. Depuis des centaines de célébrités locales et internationales ont foulé son sol. C’est aussi ici qu’eut lieu la première projection cinématographique des frères Lumière, que la fameuse praline de Neuhaus, qui contribuera à la notoriété du chocolat belge, vit le jour ou que le Mariage de Mademoiselle Beulemans, flamboyante comédie bruxellois, fut créé. Une profusion de récits inédits et amusants sont du reste à découvrir dans l’ouvrage de Paul Grosjean qui nous dévoile avec beaucoup de saveurs les coulisses de ce lieu mythique dont la société des Galeries a su jusqu’à aujourd’hui maintenir avec intelligence son indéfectible attrait.
Donatienne de Sejournet
Historienne de l’art et journaliste du patrimoine et de jardins