Véritables poumons verts de notre ville, les grands parcs publics nés au cours de la seconde moitié du XIXe siècle font aujourd’hui le bonheur des Bruxellois.
Mais ils n’auraient sans doute pas vu le jour sans l’impulsion du roi Léopold II. Convaincu de la nécessité de conserver des espaces verts dans et autour de Bruxelles, il suit de près leurs aménagements inspirés du style paysager à l’anglaise. Ainsi ces parcs se caractérisent par leurs tracés irréguliers et leurs belles perspectives. Entre les sentiers larges et sinueux s’étendent de grandes pelouses plantées de petits groupes d’arbres auxquels s’ajoutent étangs et ravins artificiels, ponts et grottes en rocaille, kiosques et bancs rustiques. Parmi eux, le bois de La Cambre est un des premiers à voir le jour.
Ancienne avancée de la Forêt de Soignes vers la Ville, son histoire se confond avec celle de l’imposant massif forestier qui durant des siècles servit de terrain de chasse à la Cour de Brabant avant de devenir la célèbre hêtraie cathédrale. Devenue propriété de Guillaume 1er en 1822, cette magnifique futaie est intégrée aux capitaux de la Société Générale puis vendue pour moitié afin de financer l’industrie de la Belgique naissante. Parmi ce qu’il reste et qui a été rétrocédé à l’État belge, il y a cette partie de la forêt proche de l’abbaye de la Cambre de laquelle elle tire son nom et dont sa conversion en un parc public de 123 hectares est étroitement liée à la création de l’avenue Louise.
Afin de valoriser le percement de cette nouvelle artère, les investisseurs Jean-Philippe De Joncker et Jean-Baptiste Jourdan projettent de la relier au bois de la Cambre, ce qui permettrait de prolonger l’élégante promenade. Accessible uniquement par quelques chemins accidentés et certes de belles mais longues drèves, la forêt n’est que peu fréquentée à l’époque. Plusieurs projets d’aménagements sont alors proposés notamment par l’architecte Cluysenaar et le paysagiste Fuchs, avant que celui d’Édouard Keilig ne soit retenu en 1862 à la suite d’un concours. Après bien des péripéties, le gouvernement confie finalement non plus aux promoteurs, mais à la ville de Bruxelles l’exécution à ses frais des travaux.
Originaire de Saxe où il a étudié l’architecture de jardin et installé en Belgique depuis quelques années, Keilig a déjà été approché par le futur roi Léopold II pour l’embellissement des propriétés royales, mais la transformation du bois de la Cambre en un parc public va véritablement contribuer à sa notoriété. En adoptant le style en vogue de l’époque, Keilig s’attelle à y créer des scènes pittoresques où alternent des massifs boisés, de vastes pelouses et des dégagements vers de belles échappées. Tandis qu’il prévoit une série de plantations, il dessine en d’amples courbes un réseau de voies carrossables et de sentiers qui viendront accentuer le caractère paysager du parc, amené à être très fréquenté. Il veille cependant à ménager le relief ondulé ainsi que le caractère forestier et naturel du site dont la contrainte est sa configuration oblongue. Afin de disperser les promeneurs et de les attirer dans les parties les plus reculées du parc, il suscite l’attractivité sans pour autant en abuser afin de ne pas dénaturer l’esprit du lieu. Il prévoit buvettes et café-restaurants aux allures de chalets rustiques et agrandit le ravin naturel en lui adossant un pont monumental en roche. Plus loin, il conçoit un lac, véritable invitation au plaisir du canotage, et lui donne un cachet indéniable par l’ajout d’un enrochement en cascade et d’une île reliée à la terre ferme par un bac.
Dès son ouverture en 1866, le succès du parc, qui conserve aujourd’hui l’essentiel de sa configuration d’origine, dépassa toutes les attentes. Tant la mise en service du premier tramway bruxellois que la facilité de ses accès par la chaussée de la Hulpe et l’avenue Franklin Roosevelt d’un côté et par la chaussée de Waterloo de l’autre y ont très certainement contribué. Cependant on ne peut manquer son entrée principale, au bout de l’avenue Louise, signalée par deux élégants pavillons de style néoclassique. Provenant initialement de la porte de Namur, ceux-ci avaient été construits trente ans plus tôt par l’architecte Auguste Payen comme bureau d’octroi. Cette taxe perçue sur une série de marchandises entrant en ville avait finalement été abrogée en 1860. La Ville avait alors décidé pour les sauver de les réinstaller de part et d’autre de l’avenue Louise à la lisière du Bois afin de servir de poste et d’habitation de police.
Pour en savoir + : Xavier Duquenne, Le bois de la Cambre, Bruxelles, 1989.
Donatienne de Sejournet
Historienne de l’art et journaliste du patrimoine et de jardins